Dimanche 27 juin 2010 à 11:00

La pratique de la désobéissance civile trouve son origine dans le refus d'Henry David Thoreau de payer ses impôts, au motif qu'il refusait de financer un État esclavagiste et qui guerroyait (selon lui, illégitimement) contre le Mexique. Thoreau fut emprisonné par suite de ce refus, ce qui causa une émotion considérable (déjà, suivant le mot attribué à de Gaulle, on ne mettait pas Voltaire en prison) et c'est sa tante qui s'acquitta contre la volonté de Thoreau de la dette fiscale de son neveu indigne1.

http://planete.cowblog.fr/images/thoreau1a.jpgSi je résume cet épisode fondateur, c'est qu'il contient à peu près la totalité de ce qui fait de la désobéissance civile un acte politique révolutionnaire. Mais c'est aussi et surtout parce qu'il démontre excellemment à quel point la désobéissance civile est un acte politique exigeant : dans cette affaire, Thoreau a mis sa liberté en jeu sans jamais menacer celle d'autrui. En d'autres termes, Thoreau a endossé l'entièreté de sa responsabilité pour faire valoir son opinion.

Malgré tout, on peut se dire que toute cette histoire est relativement connue. Pourquoi donc revenir dessus dans ces conditions ? Eh bien c'est la faute à Stéphane Guillon ! Ce n'est rien de dire que toute cette écume autour du licenciement de Guillon m'énerve à tous points de vue : le caporalisme qui semble prévaloir à Radio France aujourd'hui, mais également les pleurnicheries de Guillon s'efforçant de revêtir le costume de martyr de la liberté d'expression. Alors que l'uniforme sied à merveille au tandem Hees-Val, autant dire d'emblée que le costume me paraît taillé beaucoup trop large pour les frêles épaules de l'humoriste. J'ai déjà eu l'occasion de dire ailleurs2 tout le mal que je pense de la défense produite par Guillon au cours de sa dernière chronique et, pourtant, je me sens assez d'humeur d'en remettre une couche : l'esprit d'escalier, sans doute.

Depuis quelques temps, il semble que Guillon s'adonne au plaisir très compréhensible d'asticoter son employeur : ça, je peux comprendre. Les relations très élyséennes du duopole de France Inter, le soupçon d'indépendance très relative qui pèse sur eux, les conditions mêmes de leurs nominations respectives, tout cela (et le reste) donne largement de quoi aller leur chercher des poux dans la tête. De même Guillon semble-t-il s'être fait une spécialité de réserver un accueil revêche aux éminences ministérielles passées, présentes et à venir qui défilent dans les studios de France Inter, et là non plus je ne trouve pas grand chose à redire (sinon du point de vue du bon goût, mais c'est encore un autre débat).

On ne me fera pas croire que Guillon ignorait qu'il jouait sciemment avec le feu, c'était même pour ainsi dire son créneau commercial : fort bien. Mais enfin, comme le ressasse la sagesse populaire, à jouer avec le feu on se brûle, et je trouve fort désastreux qu'il vienne se plaindre à présent. Dans cette circonstance, Guillon me rappelle d'illustres précédents : Polac et ses dessinateurs insultant (à très bon droit, selon moi) la distinguée maison Bouygues sur le plateau de Droit de réponse, Bové détruisant un MacDonald's ou les faucheurs volontaires d'OGM.

C'est là que je reviens à Thoreau : je suis excédé par ces tout petits résistants de la vingt-cinquième heure qui se plaignent de se faire taper sur les doigts. Déjà, j'aimerais être sûr que Guillon ne saisit pas le ridicule qu'il y a à comparer la France de Sarkozy à une quelconque tyrannie (tyrannie au sens propre, hein, il ne s'agit pas de métaphore ou d'hyperbole). Mais, à supposer que Polac, Bové ou Guillon aient bel et bien remplacé Jean Moulin dans notre panthéon, il est peut-être opportun de rappeler que nos actes entraînent des conséquences et qu'il nous revient de les assumer. Bové effondré à l'idée d'aller en prison ou Guillon consterné d'être viré, je veux bien les comprendre... mais il fallait y penser avant puisque ce risque faisait partie intégrante de l'acte. D'une certaine manière, on pourrait même soutenir que la destruction du restaurant ou l'insolence (réelle ou supposée) de Guillon ne prennent pleinement leur sens qu'à condition que la sanction tombe effectivement.

Mais voilà : ni Bové naguère, ni Guillon aujourd'hui n'ont la carrure du désobéissant. Quand j'entends maintenant Guillon se retrancher derrière la sacro-sainte liberté de l'humoriste, j'ai un peu l'impression qu'on me refait le coup de l'irresponsabilité de l'artiste. L'argument n'est pas nouveau, c'est déjà celui qui a servi à la défense de Brasillach. Attention, je ne prétends pas que Guillon soit un nouveau Brasillach : il n'a jamais appelé au meurtre, et d'ailleurs il n'est pas non plus question de le fusiller. Je note seulement que cette défense a un corollaire qu'il faudrait peut-être relever, c'est qu'elle suppose que les mots écrits ou prononcés n'ont pas d'importance. Singulière manière d'en dévaluer l'auteur, au passage...

Je veux simplement dire que ce qu'on écrit, ce qu'on dit, ce qu'on fait n'est pas innocent. Je veux dire qu'il y a lieu d'espérer qu'on soit responsable de ses choix, y compris en endossant les conséquences de ces choix. Un peu d'exigence, ce serait trop demander ?
 

1 - La Désobéissance civile existe dans de nombreuses éditions : la plus économique est celle des éditions Mille et une nuits.
2 - Voir Augustin Scalbert, « Sarkozy, DSK, Aubry : ceux que Guillon n’allumera plus sur Inter », Rue89, 23 juin 2010

Illustration : portait d’Henry David Thoreau
Par cyp le Mardi 3 août 2010 à 1:49
Et toi, tu as quelle carrure, Thierry Reboud ?

Petit bougeois.
 

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