Les mesures statistiques sont aujourd’hui au cœur des études sur l’économie, la démographie et les sociétés. L’INSEE ou l’INED en France sont parmi les premiers fournisseurs de chiffres, ces chiffres auxquels « on fait dire ce qu’on veut ». Mais, contrairement à l’idée reçue, la lecture des statistiques est un travail méthodique, complexe, d’interprétation, d’analyse et de corrélation qui permettent d’y voir plus clair, et de compléter l’analyse politique.
Planetarium vous fournit aujourd’hui quelques pistes de lecture statistique — l’auteur en est friand : les indices statistiques sont d’une grande utilité pour mesurer les inégalités sociales, comprendre la réforme des retraites, et même pour envisager l’avenir d’un pays. Les principales sources en la matière sont l’OCDE, l’INSEE, l’INED, mais aussi le CIA World Factbook et Le Monde en chiffres, publication annuelle de The Economist, l’hebdomadaire britannique d’analyse politique et économique, véritable bible statistique à l’échelle mondiale.
La corrélation entre natalité, alphabétisation et richesse
Le taux de natalité d’un pays est calculé en rapportant le nombre d’enfants dans un pays au nombre de femmes fécondes, entre 15 et 50 ans. Sa mesure permet de prévoir les grandes lignes de l’évolution d’une population : un taux de natalité bas, inférieur à 2,05 enfants par femme, entraîne un double processus de vieillissement global de la population, et de diminution à long terme de cette population. À titre indicatif, le taux de natalité en France en 2009 était de 1,97 enfants par femme, d’après le CIA World Factbook.
Loin d’être un chiffre absurde, le taux de natalité reflète la politique familiale et le niveau d’instruction et d’activité des femmes dans un pays. Une natalité élevée (supérieure à 3 enfants par femme) signale une politique familiale faible, l’absence ou le faible usage de moyens contraceptifs, et un faible niveau d’instruction des femmes. L’exemple le plus criant de cette corrélation est le Burkina Faso (Afrique de l’ouest), l’un des pays les plus pauvres du monde, avec un taux de natalité de 6,21 enfants par femme, et une « espérance de vie scolaire » (school life expectancy) – durée des études, du primaire à la fin de la scolarité – estimée à 4 ans pour les femmes, doublée d’un taux d’alphabétisation extrêmement bas de 21,8 %, à quoi il faut ajouter une espérance de vie réduite, 53 ans, et une mortalité infantile (enfants morts avant l’âge de 5 ans) très élevée, à 82,98 ‰.
À cela s’ajoute une structure économique archaïque, du fait d’une agriculture peu productive et non mécanisée, qui requiert un grand nombre d’ouvriers agricoles au revenu très faible et irrégulier. D’après le CIA World Factbook, 90 % de la population burkinabée vit d’une agriculture de subsistance, et l’agriculture compte pour 29,4% dans le PIB du Burkina Faso (compte non tenu de l’économie « informelle »). De fait, le taux de pauvreté atteint 46,4 %, avec un taux de chômage de 77 % (hors emploi « informel » non pris en compte dans les statistiques), et un PIB par personne et par an (exprimé en parité de pouvoir d’achat, PPA) estimé à 1200 $, ce qui est d’autant plus faible que les 10 % les plus aisés de la population captent 32,2 % des richesses, tandis que les 10 % les plus pauvres en captent seulement 2,8 %.
À l’inverse, dans les pays « riches » à fort taux d’alphabétisation, le taux de natalité est faible (moins de 2,5 enfants par femme) du fait d’un meilleur accès aux méthodes contraceptives, ce qui permet aux femmes de suivre des études plus longues (16 ans d’espérance de vie scolaire en France) et d’obtenir un emploi – malgré d’importantes disparités internationales, et un taux d’emploi féminin en équivalent temps complet souvent inférieur au taux d’emploi des hommes, avec qui plus est un salaire moindre à poste égal, ainsi que c’est le cas en France. La mécanisation de l’agriculture joue aussi un rôle central dans les mutations sociales et économiques qui affectent un pays, car elle libère un grand nombre de personnes des travaux agricoles et est suivie d’un « exode rural » qui augmente le taux d’urbains. Ainsi, alors qu’au XIXe siècle la France était un pays largement rural, l’introduction du tracteur dans le courant du XXe siècle a poussé la population vers les villes, et l’on atteint aujourd’hui un taux d’urbains de 77 % (en comptant comme « ruraux » des personnes qui ne travaillent pas dans l’agriculture, mais habitent dans des villages ou des villes rurales ; en réalité seuls 3,8 % de la population française travaillent dans l’agriculture, industrie agro-alimentaire non comprise), alors que le taux d’urbains au Burkina Faso ne dépasse pas 20 %.
Natalité, pyramide des âges et ratio actifs/retraités
L’enrichissement d’un pays entraîne une baisse de la natalité, ainsi qu’on l’a vu – encore que la France ait connu son baby-boom dans une période de forte croissance économique, mais cela est corrélé à une politique familiale volontariste impliquant des allocations familiales qui encouragent la procréation –, et ce phénomène a pour conséquence principale, à long terme (quelques décennies), un vieillissement progressif de la population, d’autant plus prononcé que l’espérance de vie s’allonge (un meilleur système sanitaire, impliquant de bons hôpitaux, fait à la fois baisser la mortalité infantile et reculer l’âge du décès). L’observation de la pyramide des âges de la France, fournie par l’INED, est révélatrice : les générations nées après 1974 sont moins nombreuses que les générations nées entre 1945 et 1974. Alors qu’au cours des décennies précédentes, la baisse de la natalité due à la Seconde Guerre mondiale et la mort (ou l’émigration) de nombreux actifs entre 1939 et 1945 avaient permis d’obtenir un ratio actifs/retraités élevé, ce ratio baisse, et pourrait atteindre 1,1 actif pour un retraité dans les prochaines décennies, si l’âge de départ en retraite est maintenu à 60 ans.
On voit bien là que les mesures statistiques sont nécessaires pour définir les mesures à prendre dans la nécessaire réforme des retraites. Mais, à trop s’accrocher aux statistiques, on risque aussi de produire une réforme technocratique, déséquilibrée, et injuste, d’autant plus que le ratio actifs/retraités n’est pas, loin s’en faut, le seul indicateur statistique à prendre en compte, et a fortiori parce qu’au-delà des mesures statistiques, il est indispensable de formuler une approche éthique, qu’aucune statistique ne saurait fabriquer ex nihilo. Car, s’il est nécessaire de savoir lire et interpréter des données statistiques, se passer de réflexion sur la justice ou le bien-être, c’est appliquer la maxime de Rabelais, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
Illustrations : un diagramme circulaire quelconque ; portrait de François Rabelais – source : Wikimedia Commons