Vendredi 25 juin 2010 à 23:50

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/63/Colourful_Chart.pngLes mesures statistiques sont aujourd’hui au cœur des études sur l’économie, la démographie et les sociétés. L’INSEE ou l’INED en France sont parmi les premiers fournisseurs de chiffres, ces chiffres auxquels « on fait dire ce qu’on veut ». Mais, contrairement à l’idée reçue, la lecture des statistiques est un travail méthodique, complexe, d’interprétation, d’analyse et de corrélation qui permettent d’y voir plus clair, et de compléter l’analyse politique.
 
Planetarium vous fournit aujourd’hui quelques pistes de lecture statistique — l’auteur en est friand : les indices statistiques sont d’une grande utilité pour mesurer les inégalités sociales, comprendre la réforme des retraites, et même pour envisager l’avenir d’un pays. Les principales sources en la matière sont l’OCDE, l’INSEE, l’INED, mais aussi le CIA World Factbook et Le Monde en chiffres, publication annuelle de The Economist, l’hebdomadaire britannique d’analyse politique et économique, véritable bible statistique à l’échelle mondiale.
 
La corrélation entre natalité, alphabétisation et richesse
Le taux de natalité d’un pays est calculé en rapportant le nombre d’enfants dans un pays au nombre de femmes fécondes, entre 15 et 50 ans. Sa mesure permet de prévoir les grandes lignes de l’évolution d’une population : un taux de natalité bas, inférieur à 2,05 enfants par femme, entraîne un double processus de vieillissement global de la population, et de diminution à long terme de cette population. À titre indicatif, le taux de natalité en France en 2009 était de 1,97 enfants par femme, d’après le CIA World Factbook.
 
Loin d’être un chiffre absurde, le taux de natalité reflète la politique familiale et le niveau d’instruction et d’activité des femmes dans un pays. Une natalité élevée (supérieure à 3 enfants par femme) signale une politique familiale faible, l’absence ou le faible usage de moyens contraceptifs, et un faible niveau d’instruction des femmes. L’exemple le plus criant de cette corrélation est le Burkina Faso (Afrique de l’ouest), l’un des pays les plus pauvres du monde, avec un taux de natalité de 6,21 enfants par femme, et une « espérance de vie scolaire » (school life expectancy) – durée des études, du primaire à la fin de la scolarité – estimée à 4 ans pour les femmes, doublée d’un taux d’alphabétisation extrêmement bas de 21,8 %, à quoi il faut ajouter une espérance de vie réduite, 53 ans, et une mortalité infantile (enfants morts avant l’âge de 5 ans) très élevée, à 82,98 ‰.
 
À cela s’ajoute une structure économique archaïque, du fait d’une agriculture peu productive et non mécanisée, qui requiert un grand nombre d’ouvriers agricoles au revenu très faible et irrégulier. D’après le CIA World Factbook, 90 % de la population burkinabée vit d’une agriculture de subsistance, et l’agriculture compte pour 29,4% dans le PIB du Burkina Faso (compte non tenu de l’économie « informelle »). De fait, le taux de pauvreté atteint 46,4 %, avec un taux de chômage de 77 % (hors emploi « informel » non pris en compte dans les statistiques), et un PIB par personne et par an (exprimé en parité de pouvoir d’achat, PPA) estimé à 1200 $, ce qui est d’autant plus faible que les 10 % les plus aisés de la population captent 32,2 % des richesses, tandis que les 10 % les plus pauvres en captent seulement 2,8 %.
 
À l’inverse, dans les pays « riches » à fort taux d’alphabétisation, le taux de natalité est faible (moins de 2,5 enfants par femme) du fait d’un meilleur accès aux méthodes contraceptives, ce qui permet aux femmes de suivre des études plus longues (16 ans d’espérance de vie scolaire en France) et d’obtenir un emploi – malgré d’importantes disparités internationales, et un taux d’emploi féminin en équivalent temps complet souvent inférieur au taux d’emploi des hommes, avec qui plus est un salaire moindre à poste égal, ainsi que c’est le cas en France. La mécanisation de l’agriculture joue aussi un rôle central dans les mutations sociales et économiques qui affectent un pays, car elle libère un grand nombre de personnes des travaux agricoles et est suivie d’un « exode rural » qui augmente le taux d’urbains. Ainsi, alors qu’au XIXe siècle la France était un pays largement rural, l’introduction du tracteur dans le courant du XXe siècle a poussé la population vers les villes, et l’on atteint aujourd’hui un taux d’urbains de 77 % (en comptant comme « ruraux » des personnes qui ne travaillent pas dans l’agriculture, mais habitent dans des villages ou des villes rurales ; en réalité seuls 3,8 % de la population française travaillent dans l’agriculture, industrie agro-alimentaire non comprise), alors que le taux d’urbains au Burkina Faso ne dépasse pas 20 %.
 
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/8d/Francois_Rabelais_-_Portrait.jpgNatalité, pyramide des âges et ratio actifs/retraités
L’enrichissement d’un pays entraîne une baisse de la natalité, ainsi qu’on l’a vu – encore que la France ait connu son baby-boom dans une période de forte croissance économique, mais cela est corrélé à une politique familiale volontariste impliquant des allocations familiales qui encouragent la procréation –, et ce phénomène a pour conséquence principale, à long terme (quelques décennies), un vieillissement progressif de la population, d’autant plus prononcé que l’espérance de vie s’allonge (un meilleur système sanitaire, impliquant de bons hôpitaux, fait à la fois baisser la mortalité infantile et reculer l’âge du décès). L’observation de la pyramide des âges de la France, fournie par l’INED, est révélatrice : les générations nées après 1974 sont moins nombreuses que les générations nées entre 1945 et 1974. Alors qu’au cours des décennies précédentes, la baisse de la natalité due à la Seconde Guerre mondiale et la mort (ou l’émigration) de nombreux actifs entre 1939 et 1945 avaient permis d’obtenir un ratio actifs/retraités élevé, ce ratio baisse, et pourrait atteindre 1,1 actif pour un retraité dans les prochaines décennies, si l’âge de départ en retraite est maintenu à 60 ans.
 
On voit bien là que les mesures statistiques sont nécessaires pour définir les mesures à prendre dans la nécessaire réforme des retraites. Mais, à trop s’accrocher aux statistiques, on risque aussi de produire une réforme technocratique, déséquilibrée, et injuste, d’autant plus que le ratio actifs/retraités n’est pas, loin s’en faut, le seul indicateur statistique à prendre en compte, et a fortiori parce qu’au-delà des mesures statistiques, il est indispensable de formuler une approche éthique, qu’aucune statistique ne saurait fabriquer ex nihilo. Car, s’il est nécessaire de savoir lire et interpréter des données statistiques, se passer de réflexion sur la justice ou le bien-être, c’est appliquer la maxime de Rabelais, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Illustrations : un diagramme circulaire quelconque ; portrait de François Rabelais – source : Wikimedia Commons

Jeudi 24 juin 2010 à 22:53

http://farm3.static.flickr.com/2482/3967666220_76c252da3e.jpgEn juin 2009, les Iraniens votaient pour leur « nouveau » président. L’élection, dont on peut à bon droit soupçonner qu’elle fut largement entachée de fraudes, fut suivie de manifestations massives, menées et soutenues, entre autres, par le « mouvement vert », et par des personnalités telles que MM. Moussavi, Karoubi, Khatami, ou Mme Ebadi, avocate et prix Nobel de la paix, qui plaident, à des degrés divers, pour une plus grande ouverture démocratique et sociale de l’Iran. La répression sanglante qui s’en est suivie – emprisonnements arbitraires, tortures, musèlement de la presse, censure de réseaux sociaux tels que Twitter, blocage des communications – a soulevé une légitime indignation dans le monde entier.

Toutefois, les défenseurs de la démocratie et des libertés civiles ne doivent pas perdre espoir. Plusieurs signes importants montrent que, quoi que fassent les dirigeants iraniens, et quelques brutalités qu’ils commettent à l’encontre du peuple iranien, les jours de la dictature sont comptés. Plus précisément : les conditions de maintien à moyen terme de la dictature ne sont plus réunies, et les conditions de l’établissement d’une véritable démocratie s’accumulent. Cela ne rend pas moins inacceptables les violations répétées des droits humains, les procès montés de toutes pièces, la répression meurtrière des manifestations ou les probables fraudes électorales, mais ces atrocités ne doivent pas nous interdire de garder la tête froide.

Je me fonderai largement, dans cette analyse, sur les données fournies par le CIA World Factbook, en particulier la page consacrée à l’Iran.

Une natalité faible
Le nombre d’enfants par femme est un signe important des mutations qui frappent une société. Une forte natalité est la marque d’un contrôle faible, voire inexistant, des naissances (principalement par l’absence de contraception), et est systématiquement corrélée à un niveau d’éducation réduit, à l’ignorance des méthodes contraceptives, et à un taux d’activité des femmes lui aussi réduit, du simple fait qu’une femme qui fait beaucoup d’enfants ne peut d’ordinaire pas être « active » en même temps. Une forte natalité est aussi corrélée à un taux de mortalité infantile élevé, qui limite la croissance de la population au regard du nombre de naissances. À titre d’exemple, la natalité au Burkina Faso (Afrique occidentale), l’un des pays les plus pauvres de la planète, est de 6,21 enfants par femme, tandis que l’« espérance de vie scolaire » (school life expectancy), le temps passé sur les bancs de l’école, jusqu’à l’enseignement supérieur (voir plus bas), est de 5 ans, le taux d’alphabétisation de 21,8%, et que la mortalité infantile atteint 82,98 ‰ (3,31 ‰ en France : la différence est colossale) – les données sont tirées de la page Burkina Faso du CIA World Factbook ainsi que de la comparaison internationale du taux de mortalité infantile (Country comparison :: Infant mortality rate).

À l’inverse, la natalité en Iran est faible, à 1,7 enfants par femme, en-dessous du seuil de renouvellement des générations, proche de 2,05 enfants par femme (du fait du ratio garçons/filles à la naissance, 1,05 garçons pour une fille), tandis que la mortalité infantile demeure relativement élevée, à 34,66 ‰, signe que les hôpitaux et maternités iraniens sont d’une qualité insuffisante et pas suffisamment nombreux au regard de la population. Le niveau d’éducation, ainsi que l’on va le voir dans la suite, est en revanche relativement élevé, et la population iranienne est de plus en plus largement alphabétisée, avant tout les jeunes iraniens, plus largement alphabétisés que les générations précédentes, et qui seront dans quelques années les « forces vives » de la nation iranienne.

Une population jeune et de plus en plus éduquée
L’âge médian des Iraniens est de 27,6 ans : cela signifie que 50% des Iraniens, en 2010, ont moins de 28 ans. Dans le même temps, 73,2% de la population a entre 15 et 64 ans. Ces données n’ont rien d’anecdotique, puisqu’elles mettent en lumière la jeunesse de la population iranienne, et un ratio actifs/retraités qui va aller croissant au bénéfice des actifs durant les prochaines décennies. Qui plus est, l’« espérance de vie scolaire » est relativement élevée, 13 ans. À titre de comparaison (les données sont tirées du Field listing :: School life expectancy du CIA World Factbook), l’« espérance de vie scolaire » est de 15 ans en Israël, 16 ans en Belgique, en France, en Italie, 17 ans au Canada. Or il existe une forte corrélation entre le niveau d’éducation d’une population et sa volonté d’avancement démocratique et de respect des libertés civiles – ces libertés régulièrement bafouées par le régime iranien actuel.

De fait, la population iranienne réclame, depuis plusieurs années, une ouverture démocratique qui lui est toujours refusée par le régime de MM. Khamenei et Ahmadinejad, qui se trouvent forcés, pour maintenir leur emprise sur le pays, d’user de méthodes particulièrement violentes, injustes et révoltantes. Mais ces méthodes, on le sait, ont déjà été mises en échec durant le XXe siècle, notamment en URSS – la répression sanglante du « Printemps de Prague », l’enfermement de l’Allemagne de l’est derrière le « rideau de fer » et le mur de Berlin n’ont pas empêché les anciens satellites soviétiques d’accéder, entre 1989 et 1991, à la liberté et à la démocratie (à quel prix, me direz-vous : la libéralisation « sauvage » de l’économie russe fit, il est vrai, d’affreux dégâts, mais enfin la Russie est aujourd’hui, indéniablement, un pays plus libre que sous Staline ou Brejnev). L’orientation répressive et violente du régime iranien est, de fait, vouée à l’échec à plus ou moins court terme – peut-être pas plus d’une décennie : c’est long, certes, mais très clairement inéluctable.

Une économie en pleine croissance mais des inégalités persistantes
Au-delà de l’approche proprement sociétale de l’Iran, il serait nuisible de négliger une approche économique. De fait, il existe une corrélation entre le niveau d’ouverture économique d’un pays et son niveau d’ouverture sociale et démocratique. Une telle corrélation doit toutefois être pondérée par les inégalités sociales, qui réduisent clairement l’ouverture de la société – plus la société est inégalitaire, et plus les relations sociales sont tendues, ce qui nuit, dans l’ensemble, à la paix civile et à la démocratie, mais peut aussi pousser la population à exiger à la fois plus d’égalité (économique, mais aussi judiciaire) et plus de liberté (qu’il s’agisse de liberté d’opinion, de liberté de la presse, ou de liberté d’entreprise, qui sont corrélées, dans leur négation comme dans leur affirmation).

Toujours en exploitant les données sur l’Iran fournies par le CIA World Factbook, voici ce que l’on peut dire, sans entrer dans le détail, de l’économie iranienne et de sa corrélation avec l’ouverture démocratique à venir de l’Iran. En premier lieu, il convient de remarquer que l’Iran, du fait notamment de ses exportations pétrolières, s’enrichit : les exportations sont largement supérieures en valeur aux importations, ce qui génère une balance commerciale positive pour l’Iran. Cela n’est pas anecdotique : les sociétés les plus ouvertes sont les sociétés les plus riches – ainsi la France, malgré une balance commerciale déficitaire, ou les États-Unis. Dès lors que l’Iran s’enrichit, la population iranienne, qui s’enrichit à son tour, et bénéficie de fait de meilleures conditions économiques – ce qui, au passage, permet un allongement de l’« espérance de vie scolaire » que nous évoquions plus haut, du fait que les citoyens ont alors les moyens d’envoyer leurs enfants à l’école, puis, pour une part de plus en plus large (bien que toujours minoritaire) de la population, dans l’enseignement supérieur –, la population iranienne, donc, réclame une plus grande ouverture sur le monde, ce qui implique une avancée des libertés civiles et une ouverture démocratique.

Ce signe d’espoir est toutefois à relativiser : le niveau d’inégalité sociale demeure élevé en Iran, avec un coefficient de Gini (qui mesure le niveau d’inégalité par une différence d’intégrales convertie en pourcentage à partir de la courbe de Lorenz, voir la définition dans le dictionnaire d’Alternatives Économiques) de 0,445 – à titre de comparaison, le coefficient de Gini pour la France en 2008 était de 0,327 selon le CIA World Factbook, et aux États-Unis, société hautement inégalitaire, il atteignait 0,45.

Il n’empêche : nous avons, dans l’ensemble, de bonnes raisons de penser que l’Iran, dans les années qui viennent, va connaître d’importantes mutations ; et les Iraniens ont, eux aussi, de bonnes raisons de le penser, et de travailler dans ce sens, en vue de mettre fin au régime autoritaire, si ce n’est dictatorial, qui les broie depuis de trop nombreuses années. Le désespoir n’est plus de mise : la répression policière et militaire massive est aussi le signe d’un régime sur la défensive, qui n’a plus d’autres moyens de se préserver que de tirer sur son propre peuple et de jouer les matamores nucléaro-militaristes. Ces moyens courent vers l’épuisement ; il nous reste à espérer que le peuple iranien ne remplacera pas une dictature par une autre. Faisons confiance aux Iraniens, et souhaitons-leur qu’aucun tyran en herbe ne s’empare du pouvoir après MM. Khamenei et Ahmadinejad.

Photo : « Iran’s Green Hope » par
sam_alcaphone ~V~, Flickr

Jeudi 24 juin 2010 à 22:20

Et voilà, Planetarium est crée, il ne reste plus qu’à l’alimenter. Cela va venir vite, avec très bientôt un article de mon cru sur l’avenir de l’Iran passé au crible des statistiques démographiques et économiques. Je n’entends toutefois pas être le seul auteur de ce blog, c’est pourquoi je lance dès maintenant un appel à collaborations. Si vous êtes intéressé-e, envoyez-moi votre candidature par le formulaire de contact, avec vos motivations et un ou deux articles originaux sur un sujet qui vous intéresse et dont vous pensez qu’il peut intéresser du monde. Toutes les candidatures sont bienvenues ; les critères de choix seront avant tout la pertinence du propos, la maîtrise de la langue, la clarté du texte. Toute personne prête à traduire des billets de blogs étrangers, avec l’accord de leur auteur, est bienvenue.

La ligne éditoriale du blog est plutôt centre-gauche, avec une sensibilité écologiste, un attachement profond à la justice sociale et économique, à la défense de la démocratie et des libertés civiles et politiques.

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