Mercredi 30 juin 2010 à 17:59

L’explosion, le 20avril 2010, puis le naufrage, le 22 avril, de la plateforme pétrolière offshore Deepwater Horizon, propriété de la société de forage Transocean, qui la louait à la compagnie pétrolière BP, la marée noire et le désastre écologique en cours (qui va en s’amplifiant), appellent à une réflexion approfondie, non seulement sur l’avenir des forages pétroliers à très grande profondeur, mais aussi sur les mutations économiques et sociales qu’implique l’arrêt éventuel de ces forages pour les populations qui en dépendent, directement ou indirectement ; il s’agit, plus largement, d’introduire une réflexion sur le rapport au pétrole (et aux hydrocarbures) de notre économie mondialisée. Gardons-nous de tout simplisme : le désastre écologique annoncé ne doit pas nous faire perdre de vue l’importance sociale et économique du pétrole, à la fois dans le sud des États-Unis et dans le monde, avec des effets positifs et des effets négatifs variés.

Le poids du pétrole
À l’heure actuelle, le pétrole pèse très lourd dans l’économie mondiale, non seulement du fait des revenus colossaux qu’il engendre (plus de mille milliards de dollars par an), mais aussi car les produits pétroliers sont au cœur de l’économie contemporaine et de notre vie quotidienne, soit directement, tels les plastiques qui sont produits à partir d’hydrocarbures, soit indirectement, tels le carburant nécessaire pour transporter le café en grains du lieu de culture à l’usine de transformation et de conditionnement, puis pour distribuer les paquets de café moulu ou les dosettes à des magasins dans une grande partie du monde.

On comprend alors que les cours du pétrole soient scrutés quotidiennement par les acteurs économiques les plus divers : la moindre hausse du prix du baril se traduit par une hausse des prix d’à peu près tout ce qui remplit les magasins d’une grande partie du monde. Lorsque le baril « grimpe », le coût de production de notre café, qui implique (entre autres) le coût d’utilisation du matériel agricole à essence ou diesel, le coût de transport dans des camions diesel jusqu’à l’usine agroalimentaire, le coût de l’énergie utilisée par l’usine de transformation du café, qu’il s’agisse de machines à essence ou d’électricité, produite entre autres dans des centrales au mazout, et encore le coût de transport en camion, en avion ou en bateau du produit fini et emballé (dans un emballage qui contient souvent du plastique dérivé d’hydrocarbures) jusqu’aux lieux de distribution, grimpe lui aussi, et de là son prix de vente au consommateur. Le phénomène est le même pour l’écrasante majorité des produits qui peuplent les rayons de nos supermarchés ou les étals de nos marchés.

L’économie pétrolière est, qui plus est, génératrice, directement ou indirectement, d’un très grand nombre d’emplois. Elle fait vivre des centaines de milliers de personnes, loin de la fortune et des infortunes de BP et de Transocean. Outre les emplois les plus directs et les plus immédiatement liés à l’exploitation pétrolière elle-même, à savoir les opérateurs sur les plateformes pétrolières, les ingénieurs chargés de concevoir les technologies de forage très sophistiquées utilisées de nos jours, les ouvriers et les ingénieurs des centres de raffinage, songeons aux concepteurs des sous-marins qui ancrent les plateformes au fond des mers, aux ouvriers chargés de fabriquer les millions de composants physiques et électroniques des plateformes (de la puce informatique de l’ordinateur qui contrôle la pression dans le puits aux poutrelles d’acier qui forment la structure d’une plateforme), mais aussi aux pilotes des hélicoptères qui transportent les opérateurs de la terre à la plateforme offshore, et, plus indirectement encore, aux pêcheurs, aux éleveurs et aux industriels de l’agroalimentaire, aux commerçants et aux restaurateurs qui contribuent à nourrir les employés des compagnies pétrolières. Cette liste n’est pas, loin s’en faut, exhaustive, mais elle permet de se faire une idée de l’énorme quantité de personnes qui dépendent, de près ou de loin, de l’exploitation pétrolière.

Nous formulerons toutefois une objection importante : toutes ces personnes pourraient dépendre de l’exploitation d’une autre matière première que le pétrole. Un exemple simple nous suffira : à la fin du XIXe siècle, la découverte de gisements aurifères très importants en Alaska, à une époque où le pétrole n’était qu’une matière première parmi d’autres, engendra la formation d’un microcosme économique qui n’avait rien à envier au microcosme pétrolier d’aujourd’hui. Nous ne nous étendrons pas sur ce point ; retenons seulement que le pétrole n’est pas en lui-même nécessaire à la formation d’un microcosme économique cohérent. Ce fait est d’une grande importance, car il permet d’ouvrir la réflexion sur les possibles (et, aux yeux de l’auteur, nécessaires) alternatives au microcosme pétrolier sur le plan économique, et plus largement au pétrole comme élément central de l’économie mondialisée contemporaine.

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Les défauts du pétrole
Notre brève mise au point sur l’extrême importance du pétrole dans le « système » économique contemporain, entendu comme ensemble de mécanismes économiques fonctionnels et cohérents, presque tous liés au pétrole, et sur lesquels nous ne nous étendrons pas ici, ne doit pas nous faire oublier que le pétrole et ses dérivés présentent de graves défauts, et ce sur plusieurs plans. Sur le plan écologique d’abord, l’exploitation du pétrole comme son utilisation sont très polluantes ; mais aussi sur le plan social, car l’exploitation pétrolière, extrêmement rentable, pousse régulièrement les compagnies pétrolières à traiter les populations avec mépris, qu’il s’agisse des Indiens Chipewyan au Canada1 ou, à présent, des pêcheurs du golfe du Mexique, qui ne peuvent plus pêcher du fait de la pollution de la mer ; et encore sur le plan économique, car les fluctuations du cours du pétrole se répercutent sur tout le système économique mondialisé, largement dépendant du pétrole ainsi qu’on l’a vu précédemment ; et enfin, sur le plan géopolitique, du fait des conflits que peuvent engendrer la manne pétrolière et les revenus colossaux qu’elle génère.

Les inconvénients géopolitiques du pétrole ne sont plus à démontrer : la manne financière que représente le pétrole attire des acteurs géopolitiques des plus dangereux, et a été l’enjeu de plusieurs conflits, notamment en Afrique et au Proche-Orient, d’autant plus que les revenus pétroliers (et plus largement les revenus liés aux matières premières précieuses, dont les diamants, qui furent l’un des enjeux centraux de la guerre civile en Sierra Leone, de 1991 à 2002) peuvent servir à financer l’achat d’armes tournées ensuite contre les populations locales, comme ce fut le cas au Tchad. Les enjeux sociaux et de politique intérieure ne sont pas minces, eux non plus : la présence de pétrole dans les sables bitumineux du Canada attire des investisseurs plus soucieux de rentabilité que de respect des populations ou de l’environnement.

Les dégâts environnementaux dus à l’exploitation pétrolière sont connus. On peut les ranger dans différentes catégories : les dégâts liés à l’exploitation elle-même (pollution des sols, diffusion de matériaux cancérigènes, etc.), les dégâts lors du transport d’hydrocarbures (marées noires dues à des pétroliers, fuites dans des oléoducs, etc.), les dégâts liés aux usages des produits pétroliers (au premier lieu desquels la pollution atmosphérique, mais aussi les maladies liées aux résidus de combustion des produits pétroliers ou la dégradation des bâtiments dans les villes polluées, ainsi que c’est le cas à Paris). Tout cela coûte très cher, car la dépollution des côtes souillées par une marée noire, les frais médicaux engagés par le soin des « maladies du pétrole » (cancers, asthme, maladies respiratoires, maladies de la peau, etc.), les frais de restauration des bâtiments rongés par la pollution (Notre-Dame de Paris, noircie et rongée par la pollution atmosphérique, a ainsi coûté plusieurs dizaines de milliers d’euros en nettoyage et restauration).

La somme de ces inconvénients devrait nous pousser à réfléchir plus avant, et ce dès maintenant, aux solutions viables de remplacement progressif du pétrole, d’autant plus que les ressources mondiales en hydrocarbures sont limitées, et avancent vers le tarissement global, alors que la demande en hydrocarbures ne saurait que croître, du fait de l’intégration croissante des pays émergents ou en voie de développement à l’économie et au commerce mondialisés. La faible croissance de l’offre, corrélée à la prévisible croissance de la demande, nous permet d’affirmer que le cours du pétrole ne peut, à long terme, qu’augmenter au-delà de l’inflation monétaire et des capacités financières des entreprises, des États et des consommateurs, ce qui constitue une menace bien réelle sur l’économie mondiale telle qu’elle fonctionne à l’heure actuelle. La dépendance mondiale au pétrole est globalement néfaste, car, bien que l’économie pétrolière crée de nombreux emplois directs et indirects, elle porte en elle une série de menaces graves, qui doivent pousser les acteurs économiques comme les citoyens, les industriels comme les consommateurs, à rechercher des solutions pérennes pour rompre la dépendance au pétrole sans altérer la qualité de vie des habitants de notre planète ni l’économie mondialisée.

Les pistes pour l’« après-pétrole »
Sans entrer dans le détail des avantages et des inconvénients des « solutions » de l’« après-pétrole », rappelons quelques éléments de réflexion importants.

En premier lieu, il faut bien garder en tête qu’aucune « solution » n’est viable isolément. C’est par l’exploitation conjointe de plusieurs pistes de réflexion, et par la confrontation des idées, que l’on parviendra à libérer l’économie mondiale de sa dépendance au pétrole, sans détruire d’emplois et sans remettre en cause tout notre mode de vie (ce qui serait une tâche particulièrement lourde et malaisée). Les habitants du sud des États-Unis y gagneraient : la plateforme Deepwater Horizon, et toutes les plateformes offshore du golfe du Mexique rattachées au sud des États-Unis (Louisiane, Mississippi, Texas, Floride, Alabama), font vivre des millions de personnes. Les supprimer brutalement aurait des conséquences immédiates désastreuses en termes d’emploi et d’économie locale ; les maintenir n’est pas viable à long terme, ne fût-ce qu’à cause du risque qu’une autre marée noire se produise dans les années ou les décennies à venir. Il est nécessaire, et urgent, de réfléchir et d’organiser une transition progressive, avec pour but, à terme, de se passer d’un pétrole qui fait plus de dégâts qu’il n’apporte de bienfaits.

Quelques pistes sont déjà ouvertes : énergies « propres » (centrales éoliennes, barrages hydro-électriques, turbines sous-marines, énergie solaire, etc.), voitures et transports « propres » (modèles hybrides, « bio-carburants », pile à combustible, voiture électrique, etc.), mutation des modes de production, de distribution et de consommation (consommation de produits locaux, rationalisation de la production de biens pour diminuer les transports internationaux de produits intermédiaires, diminution de la consommation de biens « superflus », suppression des sur-emballages plastiques inutiles, etc.), recyclage et valorisation des déchets, etc. Aucune de ces pistes n’est une « solution » universelle, et chacune mérite d’être débattue, explorée, critiquée, enterrée si elle s’avère plus néfaste que bénéfique, développée si elle est plus avantageuse que préjudiciable ; c’est, en tout état de cause, en croisant les différentes pistes déjà ouvertes et en ouvrant de nouvelles pistes que l’on parviendra à proposer une série de solutions pérennes sur les plans économique, écologique, social et politique, pour accompagner en douceur la nécessaire fin de l’ère pétrolière de notre économie.
 

1 - Voir Emmanuel Raoul, « Sous les sables bitumineux de l’Alberta », Le Monde diplomatique numéro 673, avril 2010.

Voir aussi, sur LeMonde.fr, « Deepwater Horizon : la marée noire du siècle » (infographie).

Illustration : vue de New York (États-Unis) plongée dans le smog – source : Wikimedia Commons (domaine public)
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